Pendant longtemps, le sujet n’était abordé que dans les cercles privés. Et encore. “Il n’était pas simple pour une mère de dire que la naissance de son enfant avait été un moment traumatisant qu’elle aurait préféré s’épargner”, observe Alba Horvat, avocate, membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes et coautrice du guide Accouchement, mes droits, mes choix. Lorsqu’un accouchement se passait mal, le corps médical, l’entourage et souvent l’accouchée elle-même se satisfaisaient du fait que le bébé était en bonne santé, sans compter l’effet de la vieille malédiction “tu enfanteras dans la douleur”.
Au niveau mondial, les pays latino-américains ont été précurseurs dans la reconnaissance de la violence obstétricale “exercée par le personnel de santé sur le corps et les processus reproductifs des femmes, exprimée par un traitement déshumanisant, un abus de médicalisation et une pathologisation des processus naturels”, comme la définit par exemple l’Argentine dans sa loi sur la santé. Certains États ont même prévu des sanctions spécifiques, comme le Chiapas, au Mexique.
Dans notre pays, il faut attendre les années 2010 pour que la question dépasse la sphère intime. Créé en 2013 par Marie-Hélène Lahaye, le blog Marie accouche là pose le débat sur les maltraitances gynécologiques et/ou obstétricales sur la place publique. L’année suivante, le lancement du #Payetonutérus suscite en vingt-quatre heures plus de sept mille réactions de femmes témoignant de différentes formes de violences lors de ces actes médicaux. “Ces maltraitances ne sont pas volontaires de la part des soignant·e·s. Ces dernier·ère·s n’ont souvent pas conscience d’en être à l’origine. Une partie de la maltraitance est dite ‘ordinaire’ car banalisée ; elle passe inaperçue. Nul·le n’est en mesure d’indiquer l’ampleur du phénomène”, observe le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane). La remise en cause récente de routines et de dogmes (dont l’administration d’ocytocine de synthèse pour accroître le rythme et l’intensité des contractions ou l’usage de l’expression abdominale qui consiste à appuyer fortement sur le ventre de la femme afin d’accélérer l’accouchement) a peu à peu conduit à faire évoluer les pratiques au profit de gestes moins brutaux. Mais il reste encore du chemin à parcourir.
Si les violences obstétricales ne constituent pas en France une infraction particulière, la plupart tombent sous le coup de la loi Kouchner de 2002 sur le consentement “libre et éclairé” et l’information des patient·e·s. “C’est la première base de prévention de la maltraitance”, souligne le Ciane. Les témoignages recueillis au fil des années auprès des femmes montrent en effet que ces dispositions ne sont pas toujours respectées (cf. Repères). Alba Horvat confirme : “Les cas de maltraitance les plus fréquents sont les actes non consentis, comme l’épisiotomie, mais aussi des interventions réalisées sans anesthésie — ou avec une anesthésie qui n’a pas fonctionné : césarienne, forceps, révision utérine. Les autres relèvent plutôt du contexte : paroles déplacées, mépris, non-respect des choix et des projets de naissance…” D’un accouchement difficile, certaines femmes gardent des dommages corporels, d’autres vivent un cauchemar qui peut conduire à des états de stress post-traumatique sévères, très mal ou non pris en charge.
À la différence d’autres spécialités médicales où il existe une jurisprudence conséquente, les recours en matière d’obstétrique restent rares et les contentieux encore davantage, mais ils émergent. Plusieurs voies sont possibles, depuis le courrier envoyé à la maternité pour rapporter une expérience douloureuse, jusqu’au dépôt de plainte et l’engagement d’une procédure pénale, en passant par une demande de médiation devant la commission des usager·ère·s de l’établissement, la saisine de l’ordre des médecins ou de la commission d’indemnisation. “Toutes ces actions peuvent être mobilisées, se cumuler, se succéder. Toutes ont une utilité, des contraintes et un intérêt. La question essentielle à se poser est ce que chacune en attend”, explique l’avocate.
Pour la première fois de l’histoire, une femme a lancé une action en justice pour les seules conséquences psychologiques endurées post-partum, sans souffrir de séquelles physiques. “Pendant son accouchement, elle a subi tout ce qu’elle avait expressément dit ne pas vouloir”, résume Anne Evrard, coprésidente du Ciane, qui accompagne les femmes dans les recours amiables et peut les soutenir dans les procédures plus lourdes. “Jusqu’à présent, ces procédures n’étaient engagées que pour des cas très graves : un décès, un handicap. Par ailleurs, le préjudice moral était toujours invoqué en complément de préjudices physiques, jamais seul. Ici, une nouvelle voie est ouverte, nous verrons ce que répond la justice. En appeler à la justice est un parcours de combattant·e.”